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PHILOLOGIE COMPARÉE SUR L’ARGOT

En est-il une, en ceste terre basse,
Qui en tourment de tristesse me passe ?

Et il en conclut que si en argot la terre s’appelle la basse, « cette expression est dérivée de la locution proverbiale ici-bas ». Cela est vrai relativement au langage du poète, mais non pour celui des voleurs. Ils ne s’amusent point à penser aux rapports qui unissent la terre et les astres, ils ne songent guère non plus à opposer ce bas monde à celui où le juste jouira d’une éternité bienheureuse, et, si par hasard cette idée leur vient, ils la repoussent comme fort désagréable. Ils rapportent tout à eux-mêmes, et s’ils trouvent la terre basse, c’est quand ils sont forcés de prendre une position pénible.

Je ne croirai jamais non plus que, dans cette phrase : « Vous avez effarouché mon portefeuille, » effaroucher soit une altération du vieux mot frouchier, frogier, frouger, signifiant fructifier, profiter, gagner, et que cette locution soit tout simplement l’équivalent de : vous avez gagné mon portefeuille. En s’en tenant au sens le plus naturel, on croit voir le voleur faisant disparaître le portefeuille, le faisant fuir avec autant de promptitude qu’un animal effrayé, et l’expression a ainsi une toute autre énergie.

Dans tous les pays, l’argot se compose principalement de ces locutions figurées qui nous font connaître, bien mieux que tous les gros livres publiés sur ce sujet, le caractère, les préjugés et les vices des malfaiteurs.

En argot italien, ou fourbesque, piacer, plaisir, signifie des ducats ; en argot espagnol, ou germania, les réaux s’appellent amigos, des amis, et le mot alegria, allégresse, désigne le cabaret. Dans le premier de ces langages l’œil se dit lanterna, dans le second, il a le même nom et de plus celui de fanal, termes qui rappellent aussitôt ce vers de l’Étourdi :

Oui, je devais au dos avoir mon luminaire,