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PHILOLOGIE COMPARÉE SUR L’ARGOT

rapidité bien précieuse lorsqu’il s’agit de donner à la dérobée un avis important.

Parmi eux, rédemption, dans le sens de grâce, devient rédam ; bénéfice, bénef ; acharnement, achar ; escroc, es ; rendez-vous, rendève ; voiture, voite. Souvent ils ajoutent à ces débris de mots des terminaisons de fantaisie qui en changent complètement la nature ; pour briseur, bourreau, ils disent brimar ; pour guichetier, guichemar ; pour perruquier, perruquemar ; pour boutique, boutanche ; pour préfecture, préfectanche ; pour Versailles, Versigo. C’est sans doute par suite d’une modification de ce genre qu’ils emploient orphelin pour orfèvre. Ce dernier mot fut probablement réduit d’abord à une seule syllabe, et quelque voleur en belle humeur l’aura complété par une sorte de calembourg. Quand les termes qu’il s’agit d’altérer sont trop courts pour pouvoir être abrégés, ils reçoivent seulement une terminaison qui en change la physionomie ; là devient lago ; là-bas, labago ; ici, icigo ou icicaille, etc.

Ces procédés, et tous les autres du même genre, constituent la partie matérielle et technique de l’argot, mais il a aussi son côté spirituel, parfois même son côté poétique. Dans ce langage, les peintres sont appelés créateurs ; les chiens de garde, alarmistes ; la terre, produisante. Les substantifs tirés comme celui-ci d’un participe présent sont extrêmement nombreux : luisant signifie jour ; tournante, clef ; soutenante, canne ; insinuant, apothicaire ; relevante, moutarde, etc.

Pour bien expliquer ces expressions figurées, il suffit de saisir la première idée qui se présente et de s’y tenir, en se gardant de trop raffiner. M. Francisque Michel, qui a souvent fait preuve, dans ce livre et ailleurs, d’une véritable science de philologue, en donnant l’histoire complète de certains mots difficiles, cherche parfois à ceux-ci des origines tirées de trop loin, il cite ces jolis vers d’une élégie de Marot :