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PHILOLOGIE COMPARÉE SUR L’ARGOT

À mesure qu’on vérifie mieux cette loi, qui paraît d’abord trop absolue, on s’étonne de la trouver en toute circonstance de la plus rigoureuse exactitude. L’argot ne possède pas une tournure de phrase, pas une construction qui lui soit propre ; il est soumis dans chaque contrée aux lois de la syntaxe générale ; quant à son vocabulaire, qui semble s’éloigner beaucoup du nôtre, il repose tout entier sur un très petit nombre de conventions, et il serait impossible d’en imaginer d’autres.

Faire des mots n’est pas aussi facile qu’on le suppose ; on peut tronquer ceux de la langue ordinaire, y ajouter des terminaisons bizarres, les employer dans des sens figurés, en emprunter des langues étrangères, mais on ne crée rien, on n’invente rien.

Dans toutes les langues, on abrège les termes dont on se sert souvent. En Angleterre et dans beaucoup d’autres pays, les mots ainsi altérés, admis d’abord dans la conversation, arrivent bientôt à être écrits ; chez nous, au contraire, ils ne sont en usage que parmi les dernières classes du peuple, et il faut des circonstances exceptionnelles pour qu’ils soient généralement connus.

Aux époques de troubles civils, certaines expressions de ce genre, après avoir été employées par quelques factieux, retentissent au milieu des clameurs de la foule et passent de là dans les brochures et dans les livres. Les pamphlétaires de la Fronde disent Maza pour Mazarin, et les mécontents employaient sans doute ce nom bien avant le commencement des hostilités ; aristo n’a eu qu’en 1848 les honneurs de la tribune, mais, s’il faut en croire l’auteur de l’ouvrage intitulé les Conspirateurs, il était en usage dans les sociétés secrètes dès les premières années du règne de Louis-Philippe.

Les orientalistes, c’est ainsi qu’on nomme les puristes en fait d’argot, ont eu un double motif pour adopter et généraliser ce genre de mutilation : il défigure les mots et permet en même temps de les prononcer avec une