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REMARQVES SVR L’ORTHOGRAPHE FRANÇOISE

Ces innovations de Corneille ont donné lieu, dans le travail de Mézeray, à la remarque suivante[1] :


« Mr de Corneille a proposé que pour faire connoistre quand l’s est muette dans les mots ou qu’elle siffle, il seroit bon de mettre une s ronde aux endroits où elle siffle, comme à chaste, triste, reste, et une ſ longue aux endroits où elle est muette, soit qu’elle fasse longue la voyelle qui la précède, comme tempeſte, feſte, teſte, etc. ; soit qu’elle ne la fasse pas, comme en eſcu, eſpine, deſdire, eſpurer[2] »

« L’usage en seroit bon, ajoute Segrais, mais l’innovation en est dangereuse. »

« Je n’y trouve point d’inconvenient, sur tout dans l’impression, réplique Doujat, et ce n’est plus une nouveauté, puisque M. de Corneille l’a pratiqué depuis plus de dix ou douze ans. »

« Où est l’inconuenient ? dit Bossuet ; ie le suiurois ainsi dans le dictionnaire et i’en ferois une remarque expresse ou i’alleguerois l’exemple de Mr Corneille. Les Hollandais ont bien introduit u et v pour u voyelle et u consone, et de mesme i sans queüe ou avec queüe[3]. Personne ne s’en est formalisé ; peu à peu les yeux s’y accoustume (sic) et la main les suit. »


Dans l’édition définitive, l’innovation de Corneille est signalée sans que la compagnie en dise son avis ; mais elle ne paraît pas l’approuver, car elle ne l’adopte ni dans l’impression des Cahiers ni dans celle du Dictionnaire en 1694.

Les passages du manuscrit des Observations que nous avons reproduits sont les mieux liés et les plus clairs, mais on rencontre en certains endroits un véritable chaos de remarques insuffisantes et contradictoires. Bossuet,

  1. Fol. 45, verso.
  2. Ici Mézeray se trompe. Lorsque l’s ne se prononce pas et qu’elle n’allonge point la syllabe, Corneille, comme on vient de le voir, est d’avis de la supprimer et de mettre sur l’e un accent aigu.
  3. Dans l’Avertissement cité plus haut, Corneille s’appuie sur leur exemple : « Les Hollandais, dit-il, m’ont frayé le chemin… Ils ont séparé les i et les u consones d’auec les i et les u voyelles, en se servant tousiours de l’j et l’v pour les premières, et laissant l’i et l’u pour les autres, qui jusqu’à ces derniers temps auoient esté confondus. » — On voit, du reste, qu’en 1663 Corneille ne pratiquait pas encore cette distinction.