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DE L’ENSEIGNEMENT DE NOTRE LANGUE

l’Vsage, si est-ce qu’outre l’auersion que i’ay à ces titres ambitieux, j’ay deu esloigner de moy tout soupçon de vouloir establir ce que ie ne fais que rapporter. »

Voici donc qui est parfaitement clair : le souverain que Vaugelas nous impose n’est pas la grammaire, mais l’usage. Toute la difficulté consiste à le bien constater. Cette difficulté devient d’autant plus grande que l’auteur est contraint de nous faire un aveu qui obscurcit un peu les choses :

« Il y a sans doute deux sortes d’vsages, vn bon et vn mauvais. Le mauuais se forme du plus grand nombre de personnes, qui presque en toutes choses n’est pas le meilleur, et le bon au contraire est composé non pas de la pluralité, mais de l’élite des voix, et c’est véritablement celuy que l’on nomme le Maistre des langues[1]. »

L’avantage principal de cette doctrine, contre laquelle il y aurait plus d’une objection à présenter, est de faire de chaque lecteur, non un disciple satisfait et confiant, mais un curieux plein de zèle pour la recherche des problèmes grammaticaux encore irrésolus.

Quant aux règles que l’usage avait réellement sanctionnées, elles s’établissaient avec une autorité si inévitable que peu à peu elles soumettaient les plus grands écrivains et s’imposaient aux plus fiers génies.

Nous en avons une preuve curieuse dans le soin que Corneille mit en 1660 à revoir ses pièces de théâtre, surtout afin de les mettre plus exactement en rapport avec les Remarques de 1647, et d’assujettir à ces règles nouvelles les passages de ses ouvrages antérieurs qui ne s’y trouvaient pas conformes.

Dans cette même année où Corneille s’inclinait docilement devant l’autorité de l’usage, constaté avec un scrupule si consciencieux par Vaugelas, tandis que les émules et les disciples de l’habile grammairien pour-

  1. Préface, § II.