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ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE

gneurie qu’on a également signalée dans la Ligue des rats comme un barbarisme forgé par La Fontaine.

On ne comprend guère comment des rapprochements si faciles n’ont pas été déjà faits par les commentateurs ; mais on s’aperçoit bientôt que le tort de la plupart d’entre eux est d’avoir voulu faire preuve de trop d’érudition. Ils ont souvent feuilleté des ouvrages que le fabuliste n’avait sans doute jamais vus, dans l’espoir d’y découvrir les origines de son langage et de son style, tandis qu’ils dédaignaient de comparer patiemment le poète à lui-même et aux prédécesseurs qu’il nous désigne. Il écrit à Saint-Évremont :

J’ai profité dans Voiture,
Et Marot par sa lecture
M’a fort aidé, j’en conviens.
Je ne sais qui fut son maître :
Que ce soit qui ce peut être,
Vous êtes tous trois les miens.

« J’oubliais maître François, dont je me dis encore le disciple, aussi bien que celui de maître Vincent et celui de maître Clément. Voilà bien des maîtres pour un écolier de mon âge[1]. »

Il est impossible, on l’avouera, de se mieux conduire avec ses commentateurs. S’ils avaient profité du conseil et qu’ils se fussent mis à étudier sérieusement, d’abord les écrivains de prédilection du poète, puis les auteurs de son temps et les Lexiques, ils se seraient bien vite convaincus que les mots forgés sont beaucoup moins nombreux qu’on ne le suppose dans les œuvres de La Fontaine. En fait de langage, il inventait peu ; seulement il cherchait à ne rien laisser perdre ; dans ses ouvrages, le style tire bien plus souvent son originalité de la nouvelle acception d’un mot que de la création d’un terme.

À l’occasion de ce passage :

  1. 18 déc. 1687. Tome II, p. 725.