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ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE

de nivelerie, qu’un autre entreprit de compter les pièces qui la composent.

« Mais ne passerois-je pas moi-même pour un nivelier de tant m’arrêter à ce saint Jérôme ?…[1] »

M. Walckenaer prétend que nivelerie est un mot forgé par La Fontaine. Il n’en est rien ; on trouve dans les Recherches italiennes d’Oudin nivellerie, nivetterie et même nivellement, dans le sens que notre auteur donne au premier de ces substantifs ; on y trouve niveler, niveter et niveleur avec des significations analogues, mais on y chercherait vainement nivelier. Aujourd’hui, niveler a bien changé d’acception au figuré. Les révolutionnaires qui voulaient niveler les fortunes, ne se doutaient guère que ce mot pût signifier s’amuser à des vétilles ; du reste, ils ont si bien su faire prévaloir le nouveau sens qu’ils lui ont donné, que l’ancien est tombé dans un oubli complet ; M. Lorin aurait dû ne pas laisser échapper l’occasion de le rappeler à ses lecteurs.

Nous lisons dans la fable intitulée le Fermier, le Chien et le Renard :

Le rustre, en paix chez soi,
Vous fait argent de tout, convertit en monnoie
Ses chapons, sa poulaille ; il en a même au croc[2].

Tous ceux qui se sont occupés de ce substantif l’ont cru nouveau. Féraud, le seul lexicographe qui l’ait recueilli, du moins à ma connaissance, le marque d’un astérisque et dit : C’est un mot de Rousseau le poète. M. Walckenaer déclare qu’il ne connaît pas d’autorité plus ancienne que La Fontaine, relativement à l’emploi de ce terme, et enfin, une note de la petite édition des Fables, publiée par M. Dézobry, l’indique formellement comme ayant été forgé par notre auteur. Quant à M. Lorin, il ne se prononce point.

  1. Tome II, p. 656.
  2. Liv. XI, fab. iii, 11.