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DE L’ENSEIGNEMENT DE NOTRE LANGUE

Chose étrange ! l’habitude fermait si complètement les yeux aux plus clairvoyants, qu’on n’hésita pas à considérer pendant longtemps comme identiques dans les deux langues, jusqu’aux procédés grammaticaux qui les différencient le plus, et qui tiennent au caractère essentiel et fondamental de chacune d’elles.

S’il est en linguistique une division généralement connue et acceptée, c’est assurément celle des langues synthétiques et des langues analytiques.

Les langues synthétiques, comme le latin, tendent à exprimer par des changements de terminaison le rôle des substantifs et leurs rapports avec les mots auxquels ils se rattachent ; au contraire, les langues analytiques, comme le français, expriment le rôle des substantifs par la place même qu’ils occupent dans la phrase, et leurs rapports avec les autres mots, à l’aide de prépositions.

Nous disons : Pierre frappe Paul, et nous ne pouvons intervertir l’ordre des deux noms sans changer complètement la nature du fait que la phrase exprime. La seule circonstance qui nous apprend que Pierre est le sujet du verbe frappe, c’est qu’il le précède ; la seule indication que nous avons que Paul en est le complément, c’est qu’il le suit.

En latin il en était tout autrement ; on disait Petrus verberat Paulum, donnant au nom une terminaison particulière pour le sujet, une autre pour le complément, de telle sorte que rien n’empêchait qu’on mît le sujet à la place du complément et qu’on dît Paulum verberat Petrus ; le rôle du nom, indiqué par sa terminaison, ne faisait de doute pour personne.

C’était encore une terminaison particulière qui exprimait le rapport que nous rendons par la préposition de : liber Pétri, le livre de Pierre ; une autre tenait lieu de notre préposition à : do Petro, je donne à Pierre.

Ces différentes terminaisons s’appelaient cas, c’est-à-