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ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE

Je ne connois rhéteur ni maître ès arts
Tel que l’Amour ; il excelle en bien dire :
Ses arguments, ce sont de doux regards,
De tendres pleurs, un gracieux sourire.
La guerre aussi s’exerce en son empire :
Tantôt il met aux champs ses étendards ;
Tantôt, couvrant sa marche et ses finesses,
Il prend des cœurs entourés de remparts[1].

Ces termes sont fort bien placés dans le récit des Amours de Mars et de Vénus, qui forme le neuvième fragment du Songe de Vaux :

Vous devez avoir lu qu’autrefois le dieu Mars,
Blessé par Cupidon d’une flèche dorée,
Après avoir dompté les plus fermes remparts,
Mit le camp devant Cythérée.
Le siège ne fut pas de fort longue durée.
À peine Mars se présenta,
Que la belle parlementa.
...............
...............
...............
En peu de temps, Mars emporta la dame.
Il la gagna peut-être en lui contant sa flamme :
Peut-être conta-t-il ses sièges, ses combats.
Parla de contrescarpe, et cent autres merveilles
Que les femmes n’entendent pas,
Et dont pourtant les mots sont doux à leurs oreilles.

La Fontaine donne ici au dieu Mars les habitudes des officiers du xviie siècle. Semblables aux marins de nos comédies de second ordre, ils avaient sans cesse à la bouche les termes de leur profession. Le commandeur que Callières introduit dans son livre intitulé : Des mots à la mode, insiste sur ce travers. « Il y en a plusieurs qui, voulant exprimer leur attachement pour une dame ou quelques autres desseins particuliers, ne parlent que d’attaquer la place dans les formes, de faire les approches, de ruiner les défenses, de prendre par capitulation ou d’emporter d’assaut. »

  1. Liv. V, c. III, 1.