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ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE

Ces exemples établissent la synonymie des mots appât et amorce. Ils ont au propre un sens presque identique, et s’emploient fort bien l’un pour l’autre au figuré.

Toutefois, dans le langage de la galanterie, appas n’est plus qu’une fadeur sans conséquence ; amorces, au contraire, conserve une énergie qui lui donne quelque chose d’insultant.

Du temps de Malherbe, appas retenait encore une partie de sa signification première.

À l’occasion du vers suivant :

Déjà leurs appas ont un charme si fort.
Ménage observe que ce poète fait toujours quelque différence entre ces deux mots, et qu’appas se dit des beautés qui attirent, et charme de celles qui agissent par une vertu occulte et magique ; mais ces nuances disparurent de plus en plus.

Nous trouvons, dans un des premiers ouvrages de La Fontaine, une métaphore vicieuse qui prouve que ce mot avait déjà perdu sa valeur étymologique :

Les sévères appas dont vous êtes pourvue,
Désespèrent les cœurs qu’ils viennent d’enflammer.

Il faut avouer que l’image n’est guère plus juste que dans cette phrase critiquée par Bouhours : Prêter l’oreille aux amorces[1].

La Fontaine sentait, du reste, mieux que personne, le ridicule de ces banalités galantes alors si fort à la mode.

Dans une de ses plus jolies pièces, il plaisante fort agréablement à ce sujet les poètes de son temps :


Mais n’est-ce point assez célébrer notre belle ?
Quand j’aurai dit les jeux, les ris et la séquelle,

  1. Entretiens d’Ariste et d’Eugène ; Paris, 1671 ; in-4o, p. 142.