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ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE

dans les fables, les bergers accompagnés de dogues[1] ou de mâtins ; mais ces chiens, qui seraient fort inhabiles à conduire les troupeaux, sont excellents pour les défendre contre le loup. La Fontaine, après nous avoir raconté qu’un berger s’est décidé à changer contre deux mâtineaux un valeureux dogue, termine en disant :

Le troupeau s’en sentit, et tu te sentiras
Du choix de semblable canaille[2].

Et dans la fable intitulée : le chien qui porte à son cou le dîner de son maître, il s’exprime ainsi :

Et chacun de tirer le mâtin, la canaille[3].

« Canaille, dit M. Lorin à l’occasion de ce dernier passage, désigne ici le commun des chiens, ceux de plus petite espèce, que l’on peut considérer en quelque sorte comme la populace des chiens, sur lesquels le mâtin a, par sa taille et sa force, une supériorité marquée. Le mot canaille est ici d’autant plus heureusement employé, qu’il a, comme on le sait, pour racine le latin canis, chien. »

On croirait, d’après cette explication, que La Fontaine attribue au mot canaille un sens de fantaisie fort éloigné de sa signification primitive, tandis qu’il l’emploie dans son sens propre, suivant l’usage habituel du siècle précédent. D’Aubigné a dit dans ses Tragiques[4] :

Les rois aux chiens flatteurs donnent le premier lieu,
Et de cette canaille endormis au milieu,
Chassent les chiens de garde, et nourrissent le vice.

Il est souvent question, dans La Fontaine, de la chasse au piège ou au filet et de la pêche, qui lui four-

  1. Liv. VIII, fab. xviii, 39.
  2. Ibid., 51.
  3. Liv. VIII, fab. vii, 27.
  4. Liv. II, p. 57.