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ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE

figurément dans la langue populaire, signifie traverser un dessein ou interrompre une conversation ; nous le trouvons chez La Fontaine dans le premier de ces deux sens[1]. Quant au dernier vers de la description de la chasse au cerf citée plus haut :

On le déchire après sa mort.
il s’applique à la curée, que La Fontaine appelle ailleurs par son nom :

Il tombe en ce moment,
La meute en fait curée : il lui fut inutile
De pleurer aux veneurs à sa mort arrivés[2].

Ce mot ne s’applique au propre qu’aux entrailles de l’animal ; dans les vers suivants il a le sens général de proie :

Eh ! qu’importe quel animal ?[3]
Dit l’un de ces mâtins ? Voilà toujours curée ?

Il a la même signification dans un autre passage où il s’agit d’une grenouille qui, emportant un rat,

Prétend qu’elle en fera gorge chaude et curée[4].

Ce mot gorge chaude, qui ne s’emploie plus qu’au figuré, a en fauconnerie un sens analogue à celui de curée en vénerie ; il se dit de la viande chaude qu’on sépare du corps de l’animal que l’oiseau de proie vient de prendre, pour la lui donner à manger.

La Fontaine nous peint, dans une de ses fables, un renard aux abois[5]. Cette locution si expressive s’applique à la bête qui, accablée de lassitude, s’arrête tout à coup devant les chiens. Son emploi figuré ne manque

  1. Liv. IV, c. VI, 92.
  2. Liv. V, fab. xv, 10.
  3. Liv. VIII, fab. xxv, 20.
  4. Liv. IV, fab. xi, 28.
  5. Liv. XII. fab. xxiii, 31.