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ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE

Le cerf dix cors est le cerf de sept ans, le plus recherché dans les chasses ; aussi Dorante dit-il dans les Fâcheux[1] :

… nous conclûmes tous d’attacher nos efforts
Sur un cerf, que chacun nous disoit cerf dix cors ;
Mais moi, mon jugement, sans qu’aux marques j’arrête,
Fut qu’il n’était que cerf à sa seconde tête.

C’est-à-dire qu’il n’avait que trois ans, qu’il avait deux fois renouvelé sa ramure. Les cors sont les cornes qui sortent des perches ou bois du cerf. Il est surprenant que l’Académie, au mot cerf, ait mis dans ses exemples cerf dix cors, et qu’au mot cor elle n’ait point expliqué cette acception.

Quant au mot supposer, il a dans les vers que nous venons de citer le sens de substituer.

Lorsqu’un animal fait seulement perdre sa trace aux chiens, on dit en vénerie qu’il les met en défaut[2], qu’ils sont en faute[3]. Lorsqu’il parvient à se faire remplacer par un autre, c’est ce qu’on appelle le change, comme on le voit dans l’exemple cité plus haut. Ces deux expressions techniques se trouvent dans ces jolis vers où il est question d’un renard :

Je crois voir Annibal, qui, pressé des Romains,
Met leur chef en défaut, ou leur donne le change[4].

C’est lorsqu’on pense que les chiens ont perdu la véritable trace par un de ces motifs, qu’il importe de les rompre, comme dit encore La Fontaine :

… leur maître les rompit[5].

Ce qu’on fait en les rappelant, ou en passant au milieu d’eux pendant qu’ils courent. Ce terme employé

  1. Sc. VII, v, 13.
  2. Liv. IX., fab. xiv, 26.
  3. Liv. V, fab. xv, 4.
  4. Liv. XII, fab. xxiii, 32.
  5. Ibid., 37.