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ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE

pre chez La Fontaine, mais s’y rencontrent au figuré ; on y chercherait vainement le mot brisées, appliqué aux branches que le veneur rompt aux arbres pour reconnaître l’endroit où est la bête, mais dans une lettre à M. de Sillery, après une courte excursion hors de son domaine ordinaire, notre poète dit :

Il faut reprendre nos brisées[1].

Après nous avoir fait assister à la quête et nous avoir montré les chiens éventant les traces de l’animal, il nous les fait bientôt voir lançant la bête[2] ; et les détails de la chasse, et surtout de la chasse au cerf, sont décrits avec la plus grande exactitude. Les plus attachantes peut-être de toutes ces descriptions sont celles qu’on rencontre dans le discours en vers qui commence le dixième livre. Notre auteur, cherchant à plaire à Mme de la Sablière, expose les principes de Descartes, et paraît considérer, avec ce philosophe, les animaux comme de pures machines, jusqu’au moment où, entraîné à donner des exemples de leur intelligence, il termine en s’écriant :

Qu’on m’aille soutenir, après un tel récit,
Que les bêtes n’ont point d’esprit[3].

Voici un de ces admirables passages :

L’animal chargé d’ans, vieux cerf et de dix cors,
En suppose un plus jeune, et l’oblige par force
À présenter aux chiens une nouvelle amorce.
Que de raisonnements pour conserver ses jours !
Le retour sur ses pas, les malices, les tours,
Et le change, et cent stratagèmes
Dignes des plus grands chefs, dignes d’un meilleur sort !
On le déchire après sa mort :
Ce sont tous ses honneurs suprêmes.

  1. Tome II, p. 759.
  2. Liv. IV, fab. iv, 48 ; Adon., 340.
  3. Liv. X, fab. i.