Page:Marty-Laveaux - Études de langue française, 1901.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
227
ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE
un titre imaginaire ; quant au poète, il dit : Dom coursier[1] ; il donne aussi ce titre de dom au pourceau[2] ; et, quelque bonne volonté qu’on y mette, il est difficile de voir là, de sa part, une simple distraction. Toutefois, bien que chez La Fontaine les dignités des animaux soient marquées avec un soin scrupuleux, les commentateurs ont peut-être été parfois trop ingénieux à cet égard, et semblent lui avoir prêté des idées qu’il n’a jamais eues. MM. Walckenaer et Geruzez pensent avoir découvert une dynastie de Rodilards. Ils se fondent sur ce passage :

J’ai lu, chez un conteur de fables,
Qu’un second Rodilard, l’Alexandre des chats,
L’Attila, le fléau des rats,
Rendoit ces derniers misérables[3].

Là-dessus on nous dit : « La Fontaine n’oublie pas ses héros : il se rappelle ici le chat nommé Rodilardus de la fable II du second livre, qui appartient à une époque antérieure. Voilà de la chronologie pour plus d’authenticité. » Nous ne saurions souscrire à une semblable explication. Si le poète eût voulu indiquer l’ordre de succession monarchique, il eût dit Rodilard second, et non un second Rodilard. Ce mot, placé ainsi avant le substantif, a souvent le sens d’autre, de nouveau. L’Académie ne l’indique pas nettement, mais les exemples abondent ; nous nous contenterons de rappeler ces vers de Racine :

Qu’ils cherchent dans l’Épire une seconde Troie[4].

Qu’on fasse de l’Épire un second Illion[5].

Il n’y a point là de chronologie ; il n’y en a pas

  1. Liv. V, fab. viii, 16.
  2. Liv. VIII, fab. xii, 7.
  3. Liv. III, fab. xviii, 1.
  4. Andromaque, acte I, sc. ii, 88.
  5. Id., acte II, sc. ii, 88.