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ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE

jambes et les bras charnus… Il frappe avec ses poings[1]. »

La Fontaine, non content d’appliquer aux animaux les expressions ordinairement réservées pour les personnes, s’en sert aussi en parlant des arbres ; ainsi il dit :

… Tel arbre géant
Qui déclare au soleil la guerre,
Ne vous vaut pas,
Bien qu’il couvre un arpent de terre
Avec ses bras[2].

Dans la fable intitulée le Chêne et le Roseau, qui est tout entière écrite avec une audace si continuellement naturelle qu’on ne l’aperçoit qu’à force de réflexion, le chêne parle de son front et même de ses pieds.

Parfois, par une métaphore encore plus audacieuse, notre poète personnifie les autres objets inanimés et s’élève tout à coup au style le plus sublime. Tantôt il nous dépeint un mont :

Qui menace les cieux de son superbe front[3].

Tantôt parlant de Dieu, il s’écrie :

Auroit-il imprimé sur le front des étoiles
Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles ?[4]

Il a si bien le secret de prendre tous les tons, qu’il se sert fort à propos de la même tournure pour répandre dans ses lettres familières cette espèce d’enjouement recherché dont Voiture a donné le modèle, et qui éclate à chaque instant dans la correspondance de Mme de Sévigné.

Il écrit à sa femme : « Ce n’est point une petite gloire que d’être pont sur la Loire ; on voit à ses pieds

  1. Tome XIII, p. 347.
  2. Psyché, liv. I, tome I, p. 351.
  3. Liv. X, fab. xiv, 16.
  4. Liv. II, fab. xiii, 21.