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ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE

C’est là, il faut l’avouer, un rapprochement bien malheureux ; rien ne peut mieux faire ressortir ce que la réforme réclamée par Voltaire avait d’inconsidéré que les passages de La Fontaine où le mot d’août entre dans des gallicismes si élégants. Qui s’aviserait de dire ?

Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’auguste.

Voltaire aurait certes reculé devant une semblable conséquence ; du reste, quoi qu’il fût assez peu versé dans la littérature du Moyen-âge, il n’a jamais prétendu que nos anciens écrivains se soient servis, du mot auguste pour désigner le mois d’août, et il savait fort bien qu’il proposait une innovation ou plutôt un retour à la tradition latine.

Quant aux mots scier et Touzelle, qui se trouvent dans un des vers que nous venons de citer, ils appartiennent aussi tous deux au langage de l’agriculture. Dans le récit de Rabelais, que La Fontaine imite ici, c’est seier[1] qui est employé ; on disait aussi plus anciennement soier, et cette dernière forme, qui se trouve dans Beaumanoir[2] et dans le Ménagier de Paris[3], est la seule en usage parmi les cultivateurs du département de la Seine.

La Touzelle est une sorte de froment dont l’épi est sans barbe ; ce mot paraît tiré du vieux verbe touzer, tondre, qui se trouve encore dans Marot.

Le nom de ce grain assez peu connu est d’un excellent effet dans le conte où il est placé, car il rend plus vraisemblable la méprise du diableteau qui

N’avoit encore tonné que sur les choux[4],
« Et ne scavoit ne lire ne escripre[5]. »

  1. Pantagruel, liv. IV, ch. XLVI.
  2. XII, 11, et XXXII, 23.
  3. Distinct. II, art. II, t. II, p 48.
  4. Liv. IV, c. V, 45.
  5. Pantagruel, au lieu cité.