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ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE

paraît beau ou touchant ; mais la moindre erreur, la moindre incorrection le choque : parfois même, il faut l’avouer, sa délicatesse ressemble un peu à celle du Sybarite, et il est offensé d’une hardiesse louable ou d’une beauté un peu rude, comme d’un véritable défaut.

Il faudrait savoir rentrer dans cette voie, tout en tâchant d’éviter l’exagération. Les critiques de nos jours n’ont point, comme La Harpe et Marmontel, l’avantage d’une tradition presque immédiate, dont à coup sûr ils sauraient mieux profiter ; mais l’étude les a encore plus rapprochés du xviie siècle que le temps ne les en a éloignés. Aujourd’hui, la langue de cette époque est assez bien connue pour qu’un philologue exercé puisse expliquer les irrégularités apparentes, éclaircir les constructions obscures, fixer approximativement l’âge des mots ; toutefois, s’il veut que son travail offre un intérêt réel, il doit, en outre, distinguer avec soin les divers éléments dont le style de son auteur se compose, examiner avec quel art il les a combinés, et chercher à pénétrer le secret de son talent.

Nul poète ne prêtait, autant que La Fontaine, à ce genre d’étude ; il accepte plus complètement que tout autre le vocabulaire de son temps ; il ne blâme pas, comme Boileau ou Molière, les affectations à la mode, et sait au besoin s’en servir et se les faire pardonner. En adoptant le langage de la cour, il ne fuit ni les provincialismes ni même les patois ; souvent, il emprunte des expressions à ses prédécesseurs pour rendre plus fidèlement toutes les nuances de sa pensée ; parfois enfin nous surprenons avec étonnement dans ses vers une alliance de mots qui semble appartenir à l’un de nos contemporains. Nous ne pouvons songer à recueillir ici tous les passages que ses œuvres nous fourniraient à l’appui de nos assertions ; nous nous contenterons de soumettre au lecteur un certain nombre d’exemples.