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ESSAI SUR LA LANGUE DE LA FONTAINE

positifs et artistement mesurés qu’il faut employer lorsqu’on veut écrire des fables, des contes, des épigrammes, des poésies fugitives. » Puis il annonce qu’il ne s’occupera que des singularités et des exceptions.

Nous croyons volontiers qu’en sa qualité de fabuliste, M. Lorin a longuement réfléchi sur le style de l’apologue ; mais c’est bien à tort qu’il semble se reprocher comme un paradoxe, ce qui n’est au fond qu’un lieu commun. Les développements qu’il dédaigne pouvaient seuls donner quelque nouveauté à ses assertions.

Lorsqu’on examine le style d’un grand écrivain, il y a deux excès à éviter. L’un consiste à négliger sa langue habituelle pour s’attacher exclusivement à quelques raretés grammaticales d’une importance secondaire ; l’autre à faire l’histoire approfondie de chaque mot. Il y aurait, ce semble, un milieu à tenir. Il faudrait réserver les remarques étymologiques et grammaticales pour les endroits où elles sont indispensables, et accorder une large place à l’examen des divers procédés qui contribuent à donner au style de nos auteurs classiques une originalité si grande.

Voyons avec quel talent La Harpe se dédommage d’avoir échoué dans l’éloge officiel de La Fontaine ; écoutons Marmontel lorsqu’il oppose la recherche prétentieuse de La Mothe au style si simple de notre fabuliste et qu’il parle de ce dernier avec esprit, avec finesse, et, mieux que tout cela, avec amour. Passionnés pour les beautés, attentifs aux fautes, ils réalisent presque complètement l’idée qu’on doit se faire de ce sage ami que Boileau souhaitait au poète.

Cette extrême sensibilité, justement reprochée à leur temps, et qui, appliquée aux idées morales, n’était exempte ni d’affectation ni même d’hypocrisie, devient pour le critique, pour le grammairien, une qualité précieuse. Il ne reste indifférent à rien, il se laisse entraîner sans scrupule, sans arrière-pensée par tout ce qui lui