Page:Marty-Laveaux - Études de langue française, 1901.djvu/211

Cette page a été validée par deux contributeurs.
203
LA LANGUE DE RACINE

l’Horreur d’un cachot ; et la locution ainsi formée exprime d’une façon plus animée et plus poétique l’idée qu’on rendrait au moyen des adjectifs : le glaive furieux, un horrible cachot. Dans Alexandre, la Terreur de ses armes signifie « la terreur qu’inspirent ses armes ».

Les objets matériels, les conceptions abstraites sont doués par le poète de la vie et des sentiments qui n’appartiennent qu’aux êtres vivants. Il parle de soupirs qui craignent de se voir Repoussés, de portes qui n’obéissent qu’à une personne.

Le plus fréquemment, l’artifice consiste dans le choix habile d’une épithète jointe à un terme qui ne la comporte point d’ordinaire, et qui prend de la circonstance une énergie particulière, ou forme une antithèse avec le substantif auquel elle se rapporte. Ainsi : confidence Auguste ; l’Orient Désert, pour dire seulement que Bérénice ne s’y trouve point ; naufrage Élevé ; charme Empoisonneur ; frêles Avantages ; jeune Éclat ; yeux Éperdus ; Incurable amour ; gloire Inexorable ; offense longtemps Nouvelle ; honneurs Obscurs ; déserts Peuplés de sénateurs ; Timide vainqueur.

Il arrive qu’un adjectif qui se dit proprement des choses favorables et heureuses, prend de la nouveauté si on l’applique à un ordre d’idées différent : Fidèle en toutes ses menaces.

Parfois, c’est un verbe hardiment transporté d’un sens tout physique au sens moral : Boire la joie ; ne Respirer qu’une retraite prompte. Un autre, gardant son sens physique, forme une figure poétique par l’ingénieuse impropriété de son sujet ; dans Athalie (vers 8), ce ne sont point des flots, c’est le peuple qui Inonde les portiques. Nous n’avons pas besoin de dire que la métaphore, au fond toute semblable, mais devenue si commune, de Flots de peuple, se rencontre en plusieurs endroits de Racine, sans y paraître plus remarquable qu’ailleurs, et qu’on trouve dans sa toute simple prose l’Inondation des