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LA LANGUE DE RACINE

Dans une langue aussi faite, aussi fixée déjà que l’était la nôtre au temps de Racine, quant aux mots pris un à un, l’invention en fait de langage ne peut plus guère consister que dans les alliances de mots et dans les tours. On a peut-être exagéré l’importance de cette sorte de création dans notre auteur, et là encore on lui a attribué plus d’une fois ce qui appartenait à ses devanciers. Mais il demeure certain que nul n’a été plus habile que lui en cette manière d’inventer, qui convenait si bien à la délicate souplesse de son talent.

« On s’aperçut, dit Louis Racine, qui le premier a insisté, à propos d’Andromaque, sur ce mérite du style de son père, que le poète, en inventant, non des mots, mais des alliances de mots et des tours de phrase, faisoit pour ainsi dire une langue nouvelle ; et ces tours, qui ne nous étonnent plus aujourd’hui, parce qu’ils sont devenus familiers à la langue, furent critiqués et applaudis : critiqués par ceux qui étoient servilement attachés à la grammaire, et applaudis par ceux qui sentirent que c’étoit donner à la langue de la grâce et de la noblesse, que de l’affranchir quelquefois de la servitude grammaticale[1]. »

Il serait impossible d’énumérer ces tours, ces alliances de mots, et même assez difficile de fixer les catégories diverses et les chefs principaux auxquels on les pourrait ramener.

Un de leurs grands charmes est, du reste, cette variété même.

Tantôt un substantif est vivement déterminé par un autre substantif :

… Tous mes pas vers vous sont autant de parjures.
(Andromaque, vers 486.)

Tantôt un nom abstrait est suivi d’un autre nom concret, précédé de la préposition de : la Fureur du glaive,

  1. Remarques sur les tragédies de Racine, tome I, p. 130.