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LA LANGUE DE RACINE

alors inaperçues, et nous ne pourrions en faire à Racine un reproche particulier, si sa judicieuse remarque, au sujet d’un passage de Vaugelas, ne nous montrait que son goût devançait en ces matières celui de son temps.

Nous arrivons à un des points les plus importants et les plus difficiles de cette étude : à la détermination de la part vraiment personnelle de Racine dans la formation de son vocabulaire poétique.

Déjà, pour Corneille, dans la préface de son Lexique, nous avons eu l’occasion de constater qu’un grand nombre d’expressions, considérées par ses commentateurs comme créées par lui, ne devaient pas lui être attribuées, et qu’un examen quelque peu attentif des écrivains antérieurs, et surtout des anciens poètes, fait voir qu’elles remontent beaucoup plus haut. L’étude que nous avons faite de la langue de Racine et des observations auxquelles elle a donné lieu nous conduit à un résultat analogue, mais plus surprenant encore. En effet, si l’on blâme les commentateurs et les critiques de Corneille de ne pas avoir fouillé les origines de notre théâtre, que dire de ceux de Racine qui, avant d’écrire des observations sur ses tragédies, n’ont pas même relu Corneille ? Abord pour arrivée (Iphigénie, vers 349), que Louis Racine regarde comme hasardé par son père, se trouve très souvent dans Corneille. Affable (Athalie, vers 1525), qu’Aimé Martin est tenté d’attribuer à Racine, date au moins du xive siècle ; « Le Bruit de ma faveur » (Britannicus, vers 1605) où Laharpe a voulu voir une expression nouvelle, peignant le mouvement, l’agitation, le tumulte qui ont lieu autour des gens en faveur, appartient à la langue la plus courante du xviie siècle, et le bruit veut simplement dire ici la nouvelle. Charmes, employé en parlant de Bajazet (vers 138) semble au même Laharpe un trait de mœurs : « Ailleurs qu’au Sérail, dit-il, le poète n’eût pas parlé des charmes d’un homme. » Il oublie