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LA LANGUE DE RACINE

de se trouver dans des notes ou des exercices écrits au courant de la plume, non destinés à la publicité, et sur lesquels la critique n’a nul droit.

Mais quelques-uns de ces défauts d’exactitude historique se rencontrent dans les chefs-d’œuvre mêmes. Louis Racine a relevé avec raison, dans Bajazet (vers 1598), « les mânes de sa mère », comme une expression peu musulmane ; appartement (voyez ce mot au Lexique) ne convient guère non plus dans la bouche des anciens ou des Orientaux ; et ce n’est pas sans quelque surprise qu’au vers 827 d’Esther, on trouve « ce salon pompeux ». Enfin, on peut se demander si, dans ce passage de la Thébaïde :

Quittez, au nom des Dieux, ces tragiques pensées (vers 1019).
le mot tragique est bien à sa place. Nous ne parlons pas des interpellations : Madame, Seigneur, fort impropres aussi quand on y pense, mais si bien consacrées par l’usage qu’on ne s’en choque pas, et qu’en tout cas on ne peut les imputer particulièrement ni à Racine ni à Corneille. Quant au mot Parvis, qui est trois fois dans Athalie (vers 397, 1101 et 1749), ce serait être bien délicat et même peu exact que de vouloir, comme on l’a fait, croyons-nous, l’exclure du langage biblique, sous prétexte qu’il serait de création trop moderne. Il y a pris dès le xvie siècle[1] et y garde très noblement sa place, et Racine pouvait s’autoriser de l’exemple de Le Maistre de Saci, qui plus d’une fois en a fait le même usage que lui dans la traduction de la Bible[2].

Au reste, il est juste de remarquer que les fautes de ce genre, même bien réelles et frappantes, passaient

  1. M. Littré, dans son Dictionnaire, cite un exemple de Calvin.
  2. Voyez, par exemple, au chapitre VII, verset 12 et au chapitre VIII, verset 64 du livre III des Rois dont la version a paru cinq ans avant Athalie.