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LA LANGUE DE RACINE

1532, 1548), concurremment avec celui de coursiers, employé trois fois également (vers 1503, 1512, 1528), et s’appliquant fort bien aussi à un superbe et fougueux attelage.

Si Racine était d’avis qu’on usât sans scrupule en français de ces mots nécessaires, il ne leur trouvait point pour cela, même dans les langues classiques, une noblesse et une beauté que l’engouement de l’antiquité portait parfois à leur attribuer. Dans ses Réflexions sur Longin, Boileau avait avancé que le mot d’âne était, en grec, un mot très noble. Racine l’arrête et lui répond (tome VII, p. 118) : « Vous pourriez vous contenter de dire que c’est un mot qui n’a rien de bas, comme celui de cerf, de cheval, de brebis, etc. Ce très-noble me paroît un peu trop fort. »

Nous venons de voir que notre auteur n’usait qu’avec une discrète mesure du procédé d’élimination auquel on a recours si volontiers dans le style noble, et qui consiste à exclure certains mots, au risque, si l’on va trop loin, d’appauvrir la langue poétique. Il est un autre artifice, non moins fréquent, qu’il sait pratiquer avec la même discrétion : c’est l’emploi de certains tropes, qui modifient l’étendue et la compréhension du sens, substituent, par exemple, l’expression générale à l’expression particulière, et réciproquement, désignent au moyen de la matière, de la partie, de la cause, de l’effet, etc. Ainsi Champ désigne tour à tour la campagne, le champ de balaille, la carrière réelle ou figurée qu’il s’agit de parcourir ; Avenir est synonyme de postérité ; Acier, de poignard ; fragile Bois, d’idole ; Bras, Main s’appliquent à la personne considérée comme agissant, comme combattant, ou même à sa valeur, à son courage ; Gage se dit de la descendance, des enfants, qui sont un gage de la tendresse de celui qui vous les a donnés ; Lumière désigne le jour et la vie même ; la