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LA LANGUE DE RACINE

de Maître ? sans argent l’honneur n’est qu’une Maladie ; lever le Masque ; qui veut voyager loin ménage sa Monture ; avoir encore le Morceau dans la bouche ; être traité de Turc à More ; plus Mortes que vives ; le Mot pour rire ; le Nez a saigné à… ; donner du Nez en terre ; fermer la porte au Nez ; vous n’avez tantôt plus que la peau sur les Os ; manger son Pain blanc le premier ; rendre la Pareille ; juge en Peinture ; faire le Pied de veau ; réduire au pied de la chicane ; d’ici jusqu’à Pontoise ; venir à bon Port ; Portier de comédie ; tourner autour du Pot ; suer Sang et eau ; point d’argent point de Suisse ; son Timbre est brouillé ; mots longs d’une Toise ; pêcher en eau Trouble ; rompre en Visière. Il est même des proverbes qui datent de lui, comme : passons au déluge, venir d’Amiens pour être Suisse.

Nous nous croyons donc fondé à dire que, considéré dans son ensemble, le vocabulaire de Racine est riche en expressions familières, et que, quand le genre de sujet qu’il traite le permet, le poète n’a aucune répugnance à nommer, le plus simplement du monde, les choses par leur nom. Voyons maintenant comment il a compris les exigences du style tragique et de ce qu’on appelle, dans notre littérature, le style noble, en quoi il s’y est assujetti, en quoi il s’y est soustrait, et ce qu’il y a innové.


Dans la préface du Lexique de Corneille, nous avons essayé d’indiquer très sommairement en quoi ce style noble consiste ; nous avons constaté qu’il s’est formé surtout par élimination, par exclusion, et que, par conséquent, pour se conformer à ses lois, il fallait se priver d’une portion des ressources qu’offrait le vocabulaire. Racine a su s’affranchir, en grande partie, de cette tyrannie, et faire accepter aux plus délicats de ses contemporains bon nombre des termes qu’ils repoussaient.