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LA LANGUE DE RACINE

Les épithètes y manquent de précision et y sont employées d’une façon quelque peu banale. C’est là, du reste, parmi les défauts de ces ouvrages de la jeunesse, le seul que peut-être on serait tenté de relever çà et là plus tard, mais bien rarement.

Des vers insérés dans une lettre de 1662 nous représentent la lune « tenant cercle avec les étoiles » ; les étoiles elles-mêmes sont des diamants. Dans la Promenade de Port-Royal, l’eau devient tour à tour du cristal, de l’argent liquide ; l’onde refrise la surface de ses flots ; un étang est un « miroir humide » où les tilleuls et les chênes se mirent ; les poissons sont des « nageurs marquetés », les cercles qu’ils décrivent en nageant, des couronnes ; les arbres des « géants, de cent bras armés », qui semblent prêter leur forte échine au soleil ; ils forment des allées étoilées, c’est-à-dire en forme d’étoiles. Les fleurs des arbres à fruits sont une neige empourprée ; la laine des troupeaux est une neige luisante ; le blé, un or mouvant, une richesse flottante. Tandis que les arbres sont transformés en géants, les cerfs,

… ces arbres vivants,
De leurs bandes hautaines
Font cent autres grands bois mouvants.

(IV, 29, Poés. div., 48–50.)

Puisqu’il est certain que Racine est l’auteur de ces poésies de jeunesse, on ne saurait trop admirer l’énergie avec laquelle il a su se dégager, presque complètement, de cette recherche, de ces comparaisons forcées, de ces procédés descriptifs, qui transforment tout en or, en pierreries, etc., sans donner aucune idée de la chose décrite. Plus tard, ces défauts ont entièrement disparu ; au moins est-il bien rare qu’on rencontre encore quelque expression douteuse, quelque métaphore incohérente, comme :