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DE L’ENSEIGNEMENT DE NOTRE LANGUE

Molière, qui, mieux peut-être qu’aucun poète de son temps, a possédé notre langue dans toute son étendue, a cependant eu à suivre ce conseil de Ronsard, que, selon toute apparence, il ne se rappelait guère : il s’est trouvé dans la nécessité d’avoir un assez long entretien avec M. de Soyecourt, grand veneur de France, afin d’être bien certain d’employer les termes de chasse avec une exactitude complète dans sa comédie des Fâcheux[1] ; et l’on pense que Racine a dû également à un de ses amis les expressions judiciaires qu’il a si abondamment répandues dans Les Plaideurs[2].

Les mots provinciaux, sur lesquels Ronsard attire aussi l’attention du poète, lui recommandant de ne point se soucier « si les vocables sont Gascons, Poiteuins, Normans, Manceaux, Lionnois ou d’autres païs, pourueu qu’ilz soyent bons[3] », sont encore moins généralement compris, même par les gens qui cultivent les lettres avec le plus de succès. Racine, alors fort jeune, à la vérité, nous raconte une petite contrariété qu’il éprouva pour s’être servi d’un mot dans un sens différent de celui qu’il avait à Uzès.

« Ayant besoin — dit-il — de petits clous à broquette pour ajuster ma chambre, j’envoyai le valet de mon Oncle en ville, et lui dis de m’acheter deux ou trois cents de broquettes. Il m’apporta incontinent trois bottes d’alumettes. Jugez s’il y a sujet d’enrager en de semblables mal-entendus[4]. »

    centuation et la ponctuation adoptées par chaque auteur, et, pour les œuvres posthumes, celles de l’édition où elles ont paru pour la première fois.

  1. Histoire de la Vie et des Ouvrages de Molière, par M. J. Taschereau, 3e édition, page 41.
  2. Œuvres de J. Racine, édition de M. P. Mesnard, tome II, page 133.
  3. Abbrégé de l’art poétique François, feuillet 4, verso.
  4. Cette lettre, adressée par Racine à La Fontaine, a paru pour la première fois au tome III (p. 324), des Œuvres diverses de ce dernier. (Paris, Didot, M.DCC.XIX.)