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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

plus heureuse liberté ; l’accord se faisait bien plus avec l’idée qu’avec les mots, et les constructions les plus vives, les tournures les plus elliptiques passaient pour les meilleures, pourvu qu’elles fussent toujours parfaitement intelligibles.

Les questions relatives à la prononciation et à l’orthographe doivent être abordées ici avec quelques détails ; il ne suffit pas, en effet, de les examiner à l’occasion de chaque mot en particulier, et elles s’éclairent singulièrement par le rapprochement des faits de même nature.

Corneille écrit aversaire pour adversaire ; avenir pour advenir ; abjet pour abject ; on doit voir là une transcription fidèle de la prononciation du temps, l’usage était très variable dans les cas de ce genre, et il était impossible de conclure d’un mot à l’autre ; ainsi nous apprenons du Père Chiflet[1] qu’on disait ajuger et adjudication.

    … Déjà la noire Alecton
    Du fond des Enfers déchaisnée,
    A, par les ordres de Pluton,
    De mille cœurs pour toy la fureur mutinée,

    (Ibid., IV, v, 5.)
    Qui vous a contre moy sa fourbe découverte.
    (Nicomède, IV, ii, 86.)

    Dans le passage qui suit et qui, sous le rapport de la construction, est tout à fait analogue aux précédents, Corneille a laissé le participe invariable :

    Pour eux seuls ma justice a tant de cœurs gagné.
    (Pertharite, II, v, 88.)

    Il a pris une liberté du même genre dans ces vers de Cinna (I, iii, 33) :

    Là, par un long récit de toutes les misères
    Que, durant nostre enfance ont enduré nos pères.

    Et il a été approuvé par Voltaire, qui dit à cette occasion : « S’il n’est pas permis à un poète de se servir dans ce cas du participe absolu, il faut renoncer à faire des vers. »

  1. Essay d’une parfaite grammaire, 1668, page 242.