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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

Notons en terminant quelques substantifs communs empruntés à des nombres propres et destinés à désigner un parti littéraire ; tels sont les mots Uranin et Jobelin :


Nos Uranins ligués contre nos Jobelins
Portent bien au combat une autre véhémence.

(Sonnet sur la contestation entre le sonnet
d’Uranie et celui de Job.)

Tel est encore le nom de Gersoniste (Lettre II sur l’Imitation) donné aux personnes qui considèrent Gerson comme l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ ; mais il importe de remarquer que Corneille n’a pas inventé ces diverses dénominations et qu’il n’a fait, en les employant, que suivre l’usage général.


Corneille emploie au pluriel certains mots que les grammairiens considèrent comme inusités à ce nombre tels qu’aucuns, par exemple ; et il en met, au contraire, d’autres au singulier, comme débris, dont on n’oserait plus faire usage de la sorte.

Épigramme, intrigue, épitaphe, voile de vaisseau, offre, équivoque, limites, sont masculins dans ses œuvres ; échange et risque y sont féminins ; idole et rencontre y prennent les deux genres.

Il place l’adjectif avant le substantif dans bien des cas où on le mettrait aujourd’hui le second ; cela arrive même souvent à l’égard des locutions dans lesquelles les règles postérieures des grammairiens ont fait dépendre le sens de la place de l’adjectif ; ainsi, l’on trouve la même vertu pour la vertu même ; mains propres pour propres mains ; causes secondes pour secondes causes, etc.

Les verbes donneraient lieu à de nombreuses remarques. Souvent Corneille se sert du simple où nous mettrions le composé, et dit croître pour accroître, porter pour supporter, alentir pour ralentir, suivre pour poursuivre, vendiquer pour revendiquer ; parfois, au contraire, il emploie certains réduplicatifs tirés du latin avec le sens du