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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

définies, ne s’employaient plus aussi facilement les unes pour les autres ; la syntaxe avait des principes plus sûrs et plus uniformes.

Vaugelas rédigea le premier ces régies nouvelles, et il eut d’autant moins de peine à les faire adopter qu’elles n’étaient que les simples résultats de l’usage le plus général, habilement mis en rapport avec le génie de notre langue. Ce travail si important fut présenté au public de la façon la plus simple, la plus modeste, sans aucun appareil d’érudition, sans la moindre prétention philosophique. Cela devait plaire à Corneille, qui attacha, en effet, une grande importance à ce livre. Il ne nous le dit point, mais il est facile de voir que les Remarques, publiées en 1647, ont été son principal guide dans les révisions entreprises par lui depuis cette époque. Presque partout il se conforme aux arrêts de l’habile grammairien ; et lorsqu’il a l’intention de les suivre, s’il arrive qu’une expression souvent répétée se trouve, en certains endroits, engagée trop avant dans le tissu même de l’œuvre et ne peut être enlevée sans endommager l’ensemble ou sans entraîner de graves modifications, il la retranche du moins partout où il peut le faire facilement, afin que, moins fréquemment employée, elle passe presque inaperçue.

Un des travers de notre temps est de faire la part trop grande à l’inspiration. Nous sommes portés à nous représenter Corneille comme un génie des plus indépendants, indomptable, audacieux, inégal, s’abandonnant sans préoccupation et sans réserve à son enthousiasme poétique. Rien n’est plus éloigné de la vérité : peu confiant en lui-même, il avait un fréquent besoin d’aide et de conseil ; plus d’une fois la veine stérile de Pierre réclamait une rime à la banale facilité de Thomas ; souvent notre poète, timide outre mesure et trop docile à la critique, affaiblissait un vers pour en faire disparaître une légère incorrection, et tout prouve