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DE LA LANGUE DE CORNEILLE
ter des jurements plus en rapport avec nos croyances, et par cela même plus répréhensibles.

Les mots qui désignent les différentes classes et catégories de personnes méritent attention. Quant à la forme, ils sont les mêmes qu’aujourd’hui ; mais quant à la signification, ils sont entièrement différents. C’est en pareil cas surtout qu’il importe d’oublier ce que l’on sait, et de ne juger du sens d’une expression que par celui de la phrase entière. Rien ne trompe davantage les Français médiocrement lettrés, persuadés bien gratuitement qu’ils connaissent leur langue, et plus déroutés souvent que les étrangers qui doutent et cherchent.

Au xviie siècle, pour être honnête homme la probité ne suffisait pas ; on disait même que c’était, à tout prendre, la moins nécessaire des qualités requises ; on devait d’abord être du monde, c’est-à-dire en connaître le ton et le langage, puis avoir de l’esprit, de la grâce, de la tournure ; enfin répondre à un idéal que bien des contemporains se sont efforcés de définir, mais dont ils n’ont jamais pu indiquer que les traits principaux.

Les gens de lettres formaient une classe toute nouvelle, qui n’était généralement désignée sous ce nom que depuis peu de temps, bien qu’il paraisse déjà dans les Commentaires de Blaise de Montluc ; les jeunes gens qui fréquentaient les cours des écoles ne s’intitulaient pas étudiants, et souffraient qu’on les appelât écoliers. Le mot artisan était appliqué par La Fontaine aux peintres, par Boileau aux sculpteurs, par Corneille aux poètes, et le terme d’ouvrier se disait alors fort bien d’une personne à laquelle on accorderait aujourd’hui sans conteste le titre d’artiste.

Les marchands parlaient de leur chalandise, et le désir d’employer des expressions plus relevées ne devait pas de sitôt leur suggérer la ridicule pensée de se servir des mots de clientèle et de clients, et de se faire ainsi les patrons de leurs acheteurs.