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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

l’expression, ce que l’idée a de choquant. Il faut reconnaître néanmoins que certaines de ces libertés de langage témoignent plutôt de la simplicité des mœurs de cette époque que de leur corruption ; les jeunes filles traitent ouvertement d’amants ceux qui les courtisent ; elles les tutoient jusque dans Horace et le Menteur, sans que cela excite un sourire ; enfin Corneille employait, même dans la tragédie, l’expression faire une maîtresse, que nous voyons employée par Corneille même dans la tragédie, s’applique à une recherche honorable, et ne sent nullement le libertinage. Ce dernier mot, et celui de libertin, n’avaient pas le même sens que nous leur donnons aujourd’hui ; ils désignaient seulement une certaine indépendance, une liberté plus ou moins grande dans la manière de penser ou d’écrire ; notre auteur ne les emploie que comme termes de poétique.

Le vocabulaire de la galanterie était dès lors très étendu et très raffiné. Ce n’est pas Bélise qui a inventé d’appeler les yeux des truchements ; cette expression paraît dans Mélite et se trouve encore dans Suréna ; quant au mot objet, on le rencontre à chaque instant, non seulement pour signifier la personne aimée elle-même, mais pour désigner son apparence extérieure, son aspect, son image :

… Angélique est fort dans ta pensée.
— Hélas ! c’est mon malheur ; son objet trop charmant,
Quoy que je puisse faire, y règne absolument.

(II, 232. La place royalle, I. IV, 4. 182–184.)

Ces termes viennent pour la plupart de l’Astrée, où on lit aussi particulariser une personne, en faire sa particulière dame, tournure qui a donné naissance à l’expression ma particulière, encore fort en usage tout au moins dans nos régiments.

Non content de se servir de ces termes dans la