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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

extrêmement nombreux, quoi qu’il n’ait jamais recherché les archaïsmes et qu’il se soit toujours efforcé, au contraire, comme le veut tout particulièrement le genre dramatique, de se conformer le plus fidèlement possible au langage de son époque. Certains de ces termes surannés figurent seulement dans ses premières pièces ; il en est d’autres qu’il n’a pas même laissés subsister là et qu’il a fait disparaître dans ses dernières éditions.

Quelques expressions encore employées aujourd’hui, mais qui se sont affaiblies et altérées par l’usage, comme les monnaies par la circulation et le frottement, demandent un peu plus d’attention : abîmer, après avoir signifié précipiter dans un abîme, veut dire simplement gâter, endommager, salir ; chagrin, déplaisir, être fâché, en colère, en fureur, ont tant perdu de leur valeur à force de servir à exprimer la contrariété la plus légère, qu’ils ne peuvent plus guère trouver place dans le haut style ; il en est de même de méchant, au sens général de mauvais, de mutin, mutinerie, prodigués pour la moindre faute commise par un enfant. Mélancolie se disait en médecine du délire d’une personne tourmentée par une grande abondance de bile noire, et, au figuré, du chagrin le plus vif, le plus exclusif ; il est resté noble, n’a nullement vieilli, et on le prodiguait, il n’y a pas longtemps, dans certains ouvrages alors à la mode ; mais c’était pour exprimer un état qu’on ne peut pas nommer douloureux, une tristesse vague, ou plutôt un simple penchant à la tristesse, qui n’exclut ni la vie du monde, ni les distractions, ni les plaisirs, au milieu desquels on se contente de porter un visage quelque peu assombri.

Ennui, qui s’appliquait pendant le cours du xviiie siècle aux chagrins qui s’emparent de l’âme tout entière, n’est plus aujourd’hui en usage que pour exprimer l’état produit par une contrariété légère ou par l’absence d’occupation ; et gêne, qui, au propre, désignait les tourments de l’enfer, et, par suite, les plus violentes