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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

Les poètes contemporains de Corneille, loin de se permettre l’emploi des termes relatifs aux différentes professions, comme nous avons vu qu’il aimait à le faire, évitaient, au contraire, avec le plus grand soin, tout mot qui avait dans une science quelconque, une acception technique et particulière, et nous apprenons de Vaugelas et de Ménage[1] que futur, même employé adjectivement, était dans la prose banni du beau langage comme sentant le notaire et le grammairien. On a évité de même les expressions qui rappelaient les noms des contrats, des conventions d’affaires. Ménage a beau dire, dans ses notes sur Malherbe, que ceux qui blâment loyer pour récompense sont trop délicats, malgré l’emploi excellent que Corneille a souvent fait de ce mot, il est devenu bien rare ainsi que congé dans le sens général de permission. Les termes qui, par une seule de leurs acceptions, faisaient penser aux détails du ménage, étaient encore bannis plus rigoureusement. Vers le milieu du xviie siècle, un amant qui, au lieu de déclarer sa flamme, eût parlé de sa braise, aurait été sans doute fort mal accueilli, quoique Corneille n’ait pas hésité, dans ses premières pièces, à se servir de cette expression, et que tous les mots qui ont la même origine, tels qu’embraser, embrasement, brasier, soient, même maintenant, du haut style. C’est un motif analogue qui a porté à exclure de la langue bouillons, au figuré, quoique on dise encore bouillonner, et qui a fait critiquer vivement l’expression passer l’éponge, employée par notre poète dans la tragédie, d’une manière fort heureuse.

On ne voit pas que tant d’entraves aient beaucoup gêné le premier élan du style de Corneille. Les criti-

  1. Remarques, p. 787, édition de 1697. — Les Œuvres de François Malherbe avec les observations de M. Ménage, édition de 1723, tome III, p. 99.