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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

définitivement, sans mauvais goût comme sans pruderie, la liste des mots qui ne doivent jamais entrer dans le style noble. L’important est d’en bannir sans retour toute pensée puérile ou mesquine. Quand Horace critique ce vers de Furius Bibaculus (liv. II, Sat. V, vers 41) :

Jupiter hibernas cana nive conspuet Alpes,
c’est encore plus parce que l’image n’est pas d’une ampleur suffisante pour l’idée, que pour ce qu’il y a de répugnant dans l’expression. Nous croyons qu’on en peut dire autant, en notre langue, du passage qui suit et de bien d’autres du même genre :

La tombante tempeste
Aduersaire à l’orgueil
Escarbouilla leur teste.

(Iodelle, Cléopâtre, acte ii, chœur.)

Le mot vomir, qui, au sens propre, choque notre délicatesse, peut être au figuré d’une très grande énergie. Vaugelas l’a bien compris, et il prend dans ses Remarques[1] la défense de cette expression fort mal reçue à la cour, « principalement des dames, à qui un si sale objet est insupportable ». Dans une langue artificiellement formée, comme l’a été, en partie du moins, notre langue littéraire, des circonstances fortuites ont un grand pouvoir ; l’avis des grammairiens est parfois d’un poids immense, et deux lignes de l’un d’entre eux peuvent nous conserver une locution excellente, que l’exemple de nos premiers écrivains n’aurait peut-être pas suffi à sauver.

Par malheur, il est rare que les grammairiens se montrent cléments, et, plus d’une fois, d’accord avec les

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