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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

les talents, le génie, la médiocrité, luttaient pêle-mêle, sans que l’unité ni la mesure existassent nulle part ; mais lorsque Mélite parut, ce langage exquis de la conversation avait déjà eu le temps de se former, sans aucun profit toutefois pour nos auteurs dramatiques, qui écrivaient encore dans le style de convention, le style factice de l’école de Ronsard. Notre poète comprit le premier, dès son début, l’importance de cet élément nouveau, et il sut s’en servir non seulement comme d’un exemple utile pour le langage de la comédie, mais encore comme d’un point de départ pour s’élever à celui de la tragédie, qui, sauf les passages où la passion domine n’est, à bien prendre, qu’une suite de conversations entre personnages illustres.

Dans les ouvrages de Corneille, le style noble diffère plus du langage ordinaire par l’exclusion de certains mots que par l’emploi fréquent d’expressions sonores et d’élégances convenues ; encore notre poète se montre-t-il fort sobre d’exclusions, et, désirant se renfermer le plus possible dans le vocabulaire courant, il n’en retranche rien qu’à regret. Mais tandis que les esprits sages et justes restreignaient de plus en plus l’usage des termes de Ronsard, l’hôtel de Rambouillet, qui, à bien des égards, avait conservé les traditions de la Pléïade, poursuivait rapidement son travail de proscription sur le fond même de notre langue avec autant de tranquillité, autant de confiance, que si les mots étranges dont on prétendait l’avoir enrichie eussent été admis définitivement ; si bien que le style noble, ainsi travaillé par les écrivains judicieux qui retranchaient les importations maladroites, et par les précieuses qui écartaient avec soin les mots du langage ordinaire, ressemblait fort à cet homme entre deux âges dont les fabulistes nous ont raconté la plaisante mésaventure.

Rien, du reste, ne serait plus délicat que de dresser