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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

besoin d’ajouter que les verbes composés avec entre, dont notre poète a fait grand usage, sont fort anciens dans notre langue.

Dans ses notes, M. Aimé Martin indique un bon nombre de termes comme inventés par Corneille, mais toujours avec aussi peu de fondement ; ainsi éloigner la ville, en parlant d’un vaisseau, est signalé comme vieux dans une excellente remarque de Ménage sur Malherbe, et déceptif se trouve dans Garnier, qui employait aussi déceveur. Ce qu’on aura peine à croire, c’est que penser pris substantivement a passé aussi pour une création de Corneille, tandis que cette tournure, et en général l’emploi analogue des infinitifs, remonte aux origines mêmes de la langue.

En voyant les commentateurs les plus estimés de nos auteurs classiques tomber, au sujet de la date des mots, dans de si fréquentes méprises, on se demande avec étonnement ce qui peut les occasionner. La confiance illimitée qu’ils accordent à Nicot doit être considérée comme la principale cause de leurs erreurs ; ils s’imaginent, bien gratuitement, que son Dictionnaire est complet, et, tous les mots qu’ils n’y trouvent pas, ils les attribuent à l’auteur qu’ils publient.

On ne se rend guère compte des motifs qui ont pu acquérir à ce Dictionnaire une si grande autorité ; s’il

    Rencouragé :

    Trois fois les bataillons esclaircis de soldars
    S’allèrent rallier dessous les estandars
    Pour reprendre l’haleine, et puis l’ayant reprise
    Trois fois rencouragés revindrent à la prise.

    (Garnier, Cornélie, V, 177.)

    Rengendrer :

    Ores voicy le temps, auquel doyvent les Dieux
    Destruire courroucez ce monde vicieux
    Afin de r’engendrer une autre sorte d’hommes,
    Meilleurs et plus entiers que cent fois que nous sommes.

    (Garnier, Porcie, III, 27.)