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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

rence de la vérité, ou une finesse difficile à démêler, ou un caractère plein de ruses et de déguisements ; Corneille créa le mot captieux, qui représente aujourd’hui toutes ces nuances d’idées ; il créa également le mot impénétrable, mot si nécessaire qu’on le croirait aussi vieux que la langue, et qui cependant n’y entra qu’en 1640. Ainsi, avant Corneille, on n’aurait pu dire des arbres impénétrables aux rayons du soleil, ou figurément, en se servant de la même expression : les desseins de Dieu sont impénétrables[1]. »

Toutes ces assertions si formelles sont fausses : punisseur se trouve dans les tragédies de Garnier ; exorable, dextérité, impénétrable, figurent en 1607 dans le Thrésor des deux langues française et espagnolle de César Oudin ; on rencontre infélicité dès 1530, dans la grammaire de Palsgrave ; enfin, captieux qualifie le mot projet dans Juvénal des Ursins.

Ces mots, loin d’être nouveaux du temps de Corneille, commençaient, pour la plupart, à être oubliés ; ce sont de beaux débris du vocabulaire de la Pléïade, recueillis et habilement mis en œuvre par notre poète.

Les substantifs en eur tirés de nos verbes, tels qu’offenseur et punisseur, ont été créés en grand nombre par les écrivains du xvie siècle ; on, les formait alors à volonté. Plusieurs sont définitivement entrés dans notre langue ; beaucoup ont disparu dès les premières années du xviie siècle ; d’autres, rarement employés, surprennent encore chaque fois qu’on les entend. Il en est de même de captieux et de la plupart des adjectifs de cette terminaison : tantôt tirés des adjectifs latins en osus, tantôt formés directement sur des substantifs français, ils se montrent souvent tour à tour sous ces deux formes, comme il arrive pour nuageux et nébuleux ; dans ce

  1. Étude de la Langue de Corneille. Œuvres de Corneille, édition de Lefèvre, tome I, p. XI.