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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

plumeux dans le baron de Fœneste, et que Malherbe n’a pas fait esclavitude ; enfin, en ce qui touche particulièrement Corneille, il fait observer que l’Académie a loué l’emploi d’offenseur[1], et que notre poète n’a fait ni ce mot ni celui d’invaincu[2]. « J’ai bonne mémoire, dit-il, d’avoir lu le premier dans l’Astrée, et pour le second il est dans Nicod[3].

Nous avons rapporté, dans notre Lexique, des autorités plus anciennes que celles qu’invoque ici Ménage.

De notre temps on s’est efforcé de nouveau de faire de Corneille un néologue, et cela, suivant toute apparence, afin d’ajouter quelque chose à sa gloire. Voici en quels termes M. Aimé Martin s’exprime à ce sujet : « C’était peu de dégrossir la langue, il fallait réparer ses pertes ; il fallait plus, il fallait l’élever jusqu’à la poésie et la rendre capable d’exprimer noblement de nobles pensées. Telle était alors sa pauvreté, qu’un poète n’aurait pu qualifier, sans de longues périphrases, soit le bras qui punit, soit le cœur qui pardonne, soit les disgrâces du sort et de la fortune, soit enfin cette qualité de l’esprit qui fait entreprendre les choses avec une adroite légèreté. Corneille voulant que toutes ces choses pussent se dire d’un mot, il fit punisseur, exorable, infélicité, qui sont restés français, et popularisa dextérité, depuis peu introduit dans la langue. Des circonvolutions interminables étaient également nécessaires pour spécifier un raisonnement qui n’a que l’appa-

  1. Voyez, au tome II du Lexique, l’Appendice, p. 487.
  2. Cela n’a pas empêché Victor Hugo de dire « Plusieurs ont créé des mots dans la langue. Vaugelas a fait pudeur, Corneille invaincu, Richelieu généralissime. » (Littérature et Philosophie mêlées, Paris, Charpentier, 1842, p. 163) Remarquons en passant que Vaugelas, loin d’avoir créé pudeur, en a attribué la création à des Portes (Remarques, p. 538} et qu’ainsi que l’a fait observer M. Littré, généralissime se trouve déjà dans d’Aubigné.
  3. Observations de M. Ménage sur la langue françoise, seconde édition, tome I, p. 362.