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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

anciens dictionnaires, on le trouve dans la seconde édition des Recherches françaises et italiennes d’Antoine Oudin, en 1643, c’est-à-dire vingt-deux ans avant la première représentation du Bourgeois gentilhomme.

On pourrait du reste, sans crainte, tenir le pari de trouver ainsi un père ou du moins un parrain à tous les termes que les critiques et les commentateurs ont signalés comme nouveaux dans les œuvres des écrivains éminents.


Moutonnier, indiqué à tort comme étant de la création de La Fontaine, a été trouvé dans Rabelais par M. Génin ; ratte, qui lui est attribué par M. Walckenaer, se rencontre chez Marot ; nivellerie est dans les Recherches italiennes d’Oudin ; bestion, dans les œuvres de Philibert Delorme, et poulaille, partout[1].

Il en est de même en ce qui concerne Corneille ; Bouhours, qui avait plus de goût que d’érudition, n’hésite pas, dans ses Doutes sur la langue française[2], à le mettre au nombre des inventeurs de mots : « Le public est si jaloux de son autorité qu’il ne veut la partager avec personne, et c’est peut-être pour cela qu’il rebute d’ordinaire les mots dont un particulier se déclare l’inventeur ou le patron. Témoin l’esclavitude et l’insidieux, de M. de Malherbe ; le plumeux, de M. Desmarets ; l’impardonnable, de M. de Segrais ; l’invaincu et l’offenseur, de M. de Corneille. »


Le piquant, c’est qu’aucun des mots cités ici par Bouhours n’a été réellement créé par l’auteur auquel il l’attribue ; Ménage, qui se laisse si souvent battre quand il s’agit de questions purement littéraires, triomphe ici sur tous les points. Il établit qu’insidieux est dans Nicot,

  1. Voyez notre Essai sur la langue de La Fontaine, p. 37 et suivantes.
  2. Page 59.