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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

déjà vieillies, on trouvait avec raison que presque toujours le néologisme enlevait à la fois à leurs vers la noblesse et le naturel.

Vaugelas remarque, dans sa Préface (s. xi) « qu’il est justement des mots comme des modes. Les Sages ne se hazardent jamais à faire ny l’un ny l’autre ; mais si quelque temeraire ou quelque bizarre, pour ne luy pas donner un autre nom, en veut bien prendre le hasard, et qu’il soit si heureux qu’un mot, ou qu’une mode qu’il aura inventée luy réussisse, alors les Sages, qui sçavent qu’il faut parler et s’habiller comme les autres, suivent non pas, à le bien prendre, ce que le téméraire a inventé, mais ce que l’usage a receu, et la bizarrerie est égale de vouloir faire des mots et des modes, et de ne les vouloir pas recevoir après l’approbation publique. »

Molière a trouvé cette comparaison si juste qu’il s’en est emparé, en ayant soin toutefois de la renfermer en quatre vers :

… Tout homme bien sage
Doit faire des habits ainsi que du langage,
N’y rien trop affecter, et sans empressement
Suivre ce que l’usage y fait de changement.

(L’École des maris, I, i.)

Il observe d’ailleurs fort strictement ce précepte ; jamais il n’invente de mots : désamphidryonner, désosier, ou tartufiée, ne peuvent être considérés comme des néologismes. Ce sont là de ces créations bouffonnes dont les poètes comiques ont toujours eu l’incontestable privilège. Suivant M. Castil-Blaze, il est vrai, c’est dans le Bourgeois gentilhomme que chanteur a été employé pour la première fois au lieu de chantre, qui jusqu’alors était seul usité[1] ; mais cette assertion est sans fondement, car si chanteur manque dans plusieurs de nos

  1. Molière musicien, Paris, 1852, t. II, p. 34.