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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

On se doute du résultat. Le style de cette pièce est un mélange perpétuel d’enflure et de bassesse, et non seulement ici Jodelle ne tient point ce qu’il vient de promettre, mais, dans tout son théâtre, il remplace souvent, sans le savoir, par les sabots, le brodequin et même le cothurne. Il croyait élever un monument, et ne faisait qu’amasser des matériaux, dont quelques-uns seulement étaient de nature à être utilisés par ses successeurs.

Corneille sut fort bien distinguer ce qu’il y avait de réellement précieux parmi tant de richesses décevantes, et fit entrer pour jamais dans le vocabulaire tragique un grand nombre d’expressions qui faisaient partie du bagage des poètes qui l’avaient précédé. Telles sont, par exemple, les suivantes : ma chère âme, le conseil en est pris, détruire quelqu’un, déplorable, appliqué aux personnes, amollir pour attendrir, chatouiller, chétif heureusement employés au figuré, ennui pour chagrin, courage pour cœur ; douteux, lorsqu’il est question de l’esprit et de ses incertitudes. Telle est encore cette tournure, tant attaquée par Voltaire, et qui consiste à s’adresser à son âme, à son cœur, à son esprit[1] ; la voici dans les Amours de Ronsard :

Fuyons, mon cœur, fuyons, que mon pied ne s’arreste
Vne heure en cette ville, où par l’ire des Dieux
Sur mes vingt et vn ans le feu de deux beaux yeux
(Souuenir trop amer !) me foudroya la teste

(Livre I, pièce XVI, vers 1–4.)

On la retrouve dans le passage suivant de Jodelle, avec la locution : pleurez, mes yeux, dont Corneille s’est servi dans le Cid :


Sus donc, esprit, sois soucieux :

  1. Voyez, au tome II du Lexique, l’Appendice, p. 457 et p. 487.