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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

du latin, dont Ronsard s’est plus d’une fois servi si mal à propos en faisant parler les paysans de nos campagnes, choquent moins dans les entretiens des personnages célèbres de l’antiquité. Sauf d’ailleurs quelques passages bien peu nombreux, où, comme nous l’avons vu chez Garnier, la dignité du style naît de l’élévation des sentiments, c’est seulement grâce à ces expressions que les tragiques antérieurs à Corneille rencontrent parfois une certaine grandeur tendue et boursouflée, mais toute nouvelle. Jodelle savait si bien que c’était surtout cette noblesse un peu emphatique que ses partisans attendaient de lui, qu’au commencement du Prologue de l’Eugène, il croit devoir s’excuser en ces termes de leur donner une comédie :

Assez, assez le Poète a peu voir
L’humble argument, le comicque deuoir,
Le vers demis, les personnages bas,
Les mœurs repris, à tous ne plaire pas,
Pource qu’aucuns de face sourcilleuse
Ne cherchent point que chose sérieuse.

Du reste il poursuit encore, dans ce Prologue même, une certaine élévation de style, supérieure au ton de la comédie antique, et sur laquelle il compte pour améliorer notre langue :

Bien que souuent en ceste comédie
Chaque personne ait la voix plus hardie,
Plus graue aussi qu’on ne permettroit pas
Si l’on suyuoit le latin pas à pas,
Iuger ne doit quelque seuere en soy
Qu’on ait franchi du comicque la loy.
La langue, encor foiblette de soy-mesme,
Ne peut porter vne foiblesse extreme.
Et puis ceux-ci dont on verra l’audace
Sont vn peu plus qu’un’ rude populace.
Au reste tels qu’on les voit entre nous
Mais, dites-mov, que recueilleriez-vous,
Quel vers, quel ris, quel honneur et quels mots,
S’on ne voyoit ici que des sabots ?