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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

calmes et riants ; mais une expression vulgaire, une trivialité vient tout à coup détourner notre attention et troubler notre plaisir, il manque complètement de cette élévation, de cette dignité soutenue, qui forme le fond du langage de la tragédie, et constitue ce que nous appelons en France le slyle noble.

On ne saurait, du reste, le lui reprocher ; de son temps ce style n’existait pas encore : c’est un produit des plus curieux de notre civilisation et de nos préjugés.

L’antiquité grecque n’a rien connu de semblable ; la langue, possédant en elle-même ses radicaux, et se rattachant tout entière à une seule origine, était d’une fort grande unité, que les licences accordées à la poésie et les variétés provenant des dialectes, ne pouvaient altérer en rien ; les citoyens, quelles que furent leurs occupations, leur fortune, leur intelligence, employaient, avec plus ou moins d’élégance, les mêmes mots, les mêmes tournures de phrases, et par un singulier privilège, cet admirable idiome subissait si peu l’influence du temps, que les écrivains d’Alexandrie auraient été encore compris, sinon approuvés, d’Homère.

Il n’en fut déjà plus ainsi du latin. Les habitants du Latium, de l’Étrurie, du pays Osque, parlaient divers langages qui devinrent, en se confondant, la langue du peuple romain. Quant à sa littérature, elle ne fut pas un fruit naturel et spontané du sol, mais le résultat d’une culture artificielle dirigée avec autant d’habileté que de bonheur.

La distinction entre les diverses classes, plus profonde qu’en Grèce, et surtout l’habitude de la vie des camps, favorisaient le développement parallèle de deux langages séparés : l’un simple et familier, l’autre littéraire et savant, que le peuple entendait, mais qu’à coup sûr, il ne parlait pas.

Dire comment le latin rustique des légions a, par son