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DE LA LANGUE DE CORNEILLE

l’âme en présence de Dieu, les substractions de la grâce, les liquéfactions intérieures[1] et une foule d’expressions semblables.

Ce style a ses prérogatives particulières : grâce à lui, le poète peut traiter avec une grande hardiesse les questions les plus délicates ; il peut dire, en parlant de Dieu, et en s’adressant à la Vierge, dont il vante « l’adorable intégrité : »

Il entre dans tes flancs, il en sort sans brisure.
(IX, 46. Louanges, 715.)
et personne n’a le droit d’être choqué de ce langage, chaste comme la science, austère comme la foi.

Notre poète transporte souvent ces mêmes expressions dans ses tragédies chrétiennes ; Théodore, par exemple, n’hésite pas à dire :

Je saurai conserver, d’une âme résolue,
À l’époux sans macule une épouse impolluë.

(V, 51. Théod., 780.)
et ces mots ont paru étranges au théâtre, non pas seulement pour leur forme archaïque et passée d’usage, mais sans doute aussi parce que les critiques n’ont pas voulu comprendre l’intention du poète et la naïve bonne foi avec laquelle il réglait son style sur son sujet.

Ce goût de Corneille pour le langage particulier de chaque science, devait le conduire à employer très souvent dans un sens figuré les termes qu’elles fournissent.

La vénerie, dont notre poète connaissait aussi fort bien le vocabulaire, comme il l’a prouvé en plus d’un endroit de Clitandre, a donné à notre langue, suivant les

  1. Voyez le Lexique, à ces divers mots.