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LA LANGUE DE LA PLÉÏADE

étrangers et les profanes, au contraire, l’attrait du mot est dans sa nouveauté. Le son inattendu qui frappe notre oreille, caractérise un objet banal par lui-même et lui rend un peu de la grâce naturelle qu’il avait dans son milieu. Tel est le charme des termes du Berry dans les romans champêtres de Mme Sand. Ce sont teintes de terroir d’une grande efficacité pour mettre dans son vrai jour un paysage agreste, mais qu’il faut se garder d’employer dans la grande peinture. Les critiques des premières œuvres de Ronsard, qui lui reprochaient encore plus son vendômois que son grec et son latin[1], n’avaient donc pas si grand tort, et il le sentait bien lui-même, car tout en affectant à leur égard un superbe dédain il effaçait discrètement les expressions dont ils avaient été choqués.

M. l’abbé Froger, qui a le premier étudié dans un minutieux détail les premières œuvres du poète, constate qu’à partir de son édition de 1560, il a fait disparaître la plupart des mots tirés des patois locaux et beaucoup d’adjectifs et de verbes substantivés, tandis que les mots tirés du grec et du latin ont été presque tous conservés[2].

Il y a là, on le voit, une contradiction assez singulière entre la théorie et la pratique, puisque, si nous en croyons le témoignage de ses disciples, Ronsard recommandait encore à son lit de mort l’emploi des mots rustiques employés dans ses premiers écrits, mais éliminés successivement de ses œuvres, et semblait au contraire dédaigner les termes imités de l’antiquité, que pourtant il n’effaçait pas.

Cette prédilection persistante, si reprochée à Ronsard, avait sa raison d’être. Les mots d’origine grecque

  1. Voyez ci-dessus, p. 29.
  2. Les premières poésies de Ronsard. Mamers, G. Fleury et A. Dangin, 1892, p. 103, In-8o.