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LA LANGUE DE LA PLÉÏADE

les employiez et deffendiez hardiment contre des maraux, qui ne tiennent pas elegant ce qui n’est point escorché du latin et de l’italien, et qui aiment mieux dire collauder, contemner, blasonner, que louër, mespriser, blasmer ; tout cela c’est pour l’escolier de Limosin. » Voila les propres termes de Ronsard. »

C’est de ce morceau, souvent cité, mais qu’on n’a pas toujours eu le soin de placer à sa date et sous son vrai jour, qu’on a voulu conclure que Ronsard n’avait rien emprunté au grec et au latin, et n’avait cessé de défendre avec patriotisme la langue nationale. En réalité, lui qui avait d’abord voulu, dans sa première jeunesse, accroître à tout prix notre vocabulaire, était tout disposé, sur la fin de sa carrière, à répudier les termes pompeux et emphatiques adoptés par ses imitateurs, et insistait exclusivement sur les emprunts à faire à la vieille langue et aux dialectes.

Egger, qui approuve ce système, s’étonne de son peu de succès : « Par une infortune singulière, dit-il, des six mots que Ronsard recommandait à ses disciples, pas un seul n’a été sauvé par cette recommandation testamentaire. »

Cette « infortune » n’a rien d’extraordinaire.

Les mots de chaque province ont pour ses habitants, et plus encore pour ceux qui y sont nés, je ne sais quelle saveur particulière, ils portent en eux un souffle de l’air natal, et servent entre compatriotes de signe de ralliement. Transportés du langage parlé dans les œuvres littéraires, dans les livres imprimés surtout, ils ont tout de suite quelque chose de moins vivant, leur grâce s’évapore, leur incorrection s’accuse. Ils peuvent plaire encore, mais non à tous de la même façon. Ceux qui s’en sont servis dans leur enfance les saluent comme de vieilles connaissances presque oubliées, comme un doux écho qui réveille en un instant mille souvenirs, mille sensations sommeillant au fond de l’âme. Pour les