Page:Marty-Laveaux - Études de langue française, 1901.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
109
LA LANGUE DE LA PLÉÏADE

Ie n’aime point ces vers qui rampent sur la terre,
Ny ces vers ampoullez, dont le rude tonnerre
S’enuole outre les airs : les vns font mal au cœur
Des liseurs dégoustcz, les autres leur font peur :
Ny trop haut, nv trop bas, c’est le souuerain style ;
Tel fut celuy d’Homère et celuy de Virgile.

Ainsi placé, il a le caractère d’une attaque personnelle, ce qui a fait dire spirituellement à Sainte-Beuve[1] : « Que vous en semble ? Voilà du bon goût exemplaire. Rien n’est capable d’en donner aux poètes novateurs déjà sur le retour, comme de voir des rivaux survenants outrer leurs défauts et réussir. » La remarque est jolie, elle est même juste, car c’est bien Du Bartas que Ronsard a en vue dans les vers qui précèdent ; mais il avait, depuis un certain temps déjà, professé les doctrines qu’ils expriment. En 1575, cinq ou six ans avant la publication de la Semaine de Du Bartas, il disait dans un passage de la Préface sur la Franciade, qui semble l’argument de son sixain (III, 524–525) : « La plus grande partie de ceux qui escriuent de nostre temps, se traînent eneruez à fleur de terre, comme foibles chenilles… Les autres sont trop empoulez… Les autres plus rusez tiennent le milieu des deux, ny rampans trop bas, ny s’esleuans trop haut au trauers des nues… comme a faict Virgile en sa divine Ænéide. » Dans toute cette préface on sent déjà les premiers symptômes d’un assagissement que les succès de Du Bartas hâtèrent, et qui s’accentue de plus en plus dans les derniers temps de la vie de Ronsard.

Son Discours à Iean Morel confirme les mêmes principes (V, 210–211) :


Or ce petit labeur que ie consacre tien.
Est de petite monstre, et ie le sçay tresbien :
Mais certes il n’est pas si petit que l’on pense :

  1. Tableau de la poésie française. II, 230.