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LA LANGUE DE LA PLÉÏADE

la dignité de langue poétique capable de traiter les sujets les plus élevés et d’aborder tous les styles ; ensuite, pour l’approprier à de si hautes destinées, ils s’efforcent de le perfectionner et d’en étendre considérablement les limites.

La première entreprise était vraiment grande, et la Pléïade s’en est tirée à son honneur. Si elle n’a pas atteint cette terre promise de la haute poésie sérieuse, elle a eu du moins le mérite de l’entrevoir et de frayer largement la voie aux poètes du siècle suivant.

À l’égard de la langue, la nouvelle école s’est montrée moins neuve et moins audacieuse qu’elle ne l’a dit et qu’elle ne l’a cru. Elle a réuni, groupé, systématisé les hardiesses des autres, plutôt qu’elle n’en a imaginé de très personnelles, elle a transporté dans ses vers toutes les libertés de la prose de Rabelais, elle a fait de curieuses recherches de mots plutôt que des rencontres et des trouvailles, elle a possédé au plus haut degré la science du langage, elle n’en a pas toujours eu l’instinct.

Dans la pratique, les divers membres de la Pléïade ont suivi fort inégalement le programme qu’ils s’étaient tracé.

Du Bellay fait d’assez nombreux emprunts au grec et au latin ; son séjour à Rome le porte tout naturellement à introduire un certain nombre d’italianismes dans ses ouvrages ; en tout le reste il n’innove guère ; point de patois, peu de mots forgés ; c’est le classique de la Pléïade.

Baïf, au contraire, pousse à l’extrême les doctrines du cénacle ; non seulement il imite avec excès les Grecs et les Latins, recherche les archaïsmes et dit, à l’exemple du maître (V, 122) :

Je remé vieus mots en vsage,
mais allant résolument jusqu’au bout de ses idées, et ne