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LA LANGUE DE LA PLÉÏADE

leur place ; le naturel en sauve la hardiesse. Cette langue n’est pas le résultat d’une série de calculs, de conventions, de compromis, longuement débattus entre initiés dans le silence du cabinet, mais l’expression naïve et sincère de la pensée de chacun dans les diverses conditions de la vie.

On peut dire la langue de Pindare, d’Horace, de Virgile, de Ronsard, de Racine ; on ne peut pas dire aussi justement la langue d’Aristophane, de Plaute, de Rabelais, de Molière, car ceux-ci, en peignant les mœurs de ceux qu’ils mettent en scène, leur font parler du même coup le langage qui leur est propre, ils n’en ont pas pour ainsi dire la responsabilité, le comble du génie est précisément pour eux de s’effacer et de disparaître.

Les aveux de du Bellay et de Ronsard, et les rapprochements qui précèdent, suffisent à faire pressentir que la plupart des prétendues innovations des poètes de la Pléïade avaient été pratiquées antérieurement, et la comparaison que nous allons faire, dans les listes suivantes, de leur vocabulaire avec celui de leurs prédécesseurs, en fournira fréquemment la preuve. On en vient alors à se demander ce qu’il y a de vraiment nouveau dans le programme si arrogamment proclamé, et accepté sans conteste par tous les historiens de notre littérature.

C’est une question que se posait déjà l’auteur du Quintil Horatian. Il dit dans ses notes sur le quatrième chapitre de du Bellay : « Tu… monstres la pauureté de nostre langue, sans y remedier nullement et sans l’enrichir d’vn seul mot, d’vne seule vertu, ne bref de rien, sinon que de promesse et d’espoir, disant qu’elle pourra estre, qu’elle viendra, qu’elle sera, etc. Mais quoy ? quand, et comment ? »

Si l’on y regarde de près, on dégage des doctrines et des œuvres des poètes de la Pléïade deux idées principales : d’abord ils proclament l’avènement du français à